EXTRAITS
<< Après la disparition lente de Cheysan, le milieu revint tel qu'il avait été. J’avais accepté gauchement son appui au détriment de ma propre mort; il avait été si convaincant. En aucun cas, un fait aussi incroyable ne m'était advenu. Peut-être était-ce à cause de l’après-midi que j'avais vécu qui me rendait déraisonnable à ce point. Je décidai qu'il valait mieux que j'aille me recoucher. Ainsi, je retournais dans ma chambre, troublée par cette absurdité. Le lendemain matin, je me réveillai en sursaut. J'avais songé à cette même conversation entre la lumière et moi. Des images identiques avaient défilé périodiquement, des têtes, des cris sinistres de bêtes, et le dernier propos de Cheysan évoqué sans cesse après que j’eus accepté son offre: <<Demain sera un autre jour, une nouvelle vie.>>. Je tâtai sur ma commode mes lunettes de teinte sinople, les mises afin de regarder le cadran de mon réveil. Il était plus de cinq heures. J'avais dû transpirer abondamment au cours de mon sommeil. Mon visage était en sueur. Je vis parmi mon drap froissé, quelques longs poils doux et sinués, d'un ton jaune doré, qui s’y dénichaient. Il y en avait autant sur mon oreiller que sous ma couverture. J'en pris quelques-uns sans peine; ils s'agrippaient aisément à ma couverture ainsi qu'à ma chemise de nuit. D'où surgissaient-ils? Je les ramassai à l'aide d'une brosse à cheveux, les conservai dans mon porte-monnaie. Je décidai de prendre des précautions. Je ne désirai pas que ma mère, lorsqu'elle ferait le lit si je ne le ferais pas, puisse les découvrir, douter de moi. Je ne trouvais aucune explication. Aucune piste ne me permettait d’élucider ce mystère. Il était donc inutile que je me rendorme si ce n'était pour revivre un autre cauchemar. >>
<< Un bon soir de mousson alors que le vent s’était levé en amenant de petites gouttes fraîches sur la plaine d’herbes encore humides par la saison, le renard traversait l’étendue sans réel objectif. Fleck était un canidé de petite taille pour une espèce mélangée sans origines exactes. Il avait été élevé aussi proche dans ses souvenirs dans une ferme du sud de la capitale qu’il avait quitté lorsque c'était le bon moment. Son ancien maître Manuel, un homme de soixante ans, cultivant la terre de diverses variétés de légumes comme la courgette, ou le concombre, et ses enfants Amelia, Tiago ou encore le tout petit Julio, lui manquaient. Cette famille, qui l’avait adopté alors qu’il n’était qu’un nouveau né, lui avait apporté un doux foyer avec plein d’amour pendant un an. Fleck se souvenait des jeux avec les enfants, les cache-cache dans le jardin, les poursuites dans les hectares infinis où il gardait encore la forme de courir après eux. Le vent était encore plus fort lorsqu’il quitta complètement sa première maison, vers la forêt, cet endroit où les hommes n’avaient pas encore conquis cette terre que Mère Nature se réservait. Il sentit déjà en lui une profonde nostalgie de ces visages, ces mains, ces parfums qu’il aimait quand les membres de sa famille adoptive apparaissaient dans la vide senteur du vieux bois tropical de cèdre qui couvraient le sol. Dans son carton avec comme couche un pull en coton laineux, il restait là à s’ennuyer quand il n’y avait personne pour s’occuper de lui. Grattant quelques meubles de ce local de vielles affaires, jouant avec n’importe quel objet, il se souvenait bien de ces moments de solitude la nuit quand tout le monde dormait même s’il était plutôt silencieux pour un renardeau. Fleck ne regrettait pas exactement sa vie de renard apprivoisé. Il y avait toujours en lui ce désir de découvrir de nouvelles contrées. La ferme était encerclée d’un épais barbelé de six mètres de haut qui empêchait les voleurs d’y pénétrer; le renard n’était jamais sorti de ce bâtiment depuis sa plus tendre enfance. Si le choix de Manuel avait été de le laisser partir, Fleck ne se posait pas vraiment la question de savoir pourquoi il était maintenant à l’état sauvage. Pourtant rien ne pouvait l’empêcher de retourner voir sa famille d'humains. Il avait envie de retourner sur ses pas avec le trop d’affection qu’il avait pour ses Brésiliens originaires de Manaus qui s’étaient installés plus en province. Mais si Manuel l’avait mis dans cette nouvelle situation, il y avait sûrement un avenir qu’il se disait venir plus pressé que de rester avec des humains. Le renard entra dans sa nouvelle vie d’animal indépendant. Il sentait les odeurs de la forêt amazonienne, immense lieu de verdure sans limite sans douter de la beauté de cette étendue naturelle. L’espace lui donnait l’excitation d’avancer vers l’inconnu, comme si le chant des oiseaux était une invitation au voyage, un voyage qui s’annonçait merveilleux tant la forêt semblait accueillante, mais aussi mystérieuse pour un esprit débordant de curiosité. Il avança, s’engouffrant dans la forêt, pénétrant avec silence sans hésitation, calmement en s’habituant à ce nouveau milieu. >>
<< Fleck descendit le premier de leur butte. Cerrid le suivit en gravant prudemment les rochers. <<Est-ce qu'on doit le suivre, Cerrid?>> Déclara-t-il en la regardant du bas de la terre accidentée. Elle lui répondit d'un hochement de tête bien humain. Quand ils finirent leur traque, près d'un fleuve qui se jetait dans la mer plus loin, le Rio Itapecuru, qui se jette dans le golfe du Maranhão, le serpent se reposait dans l'espace confiné d'un trou creux entre plusieurs rochers. Cerrid et Fleck avancèrent alors à découvert. À bonne distance de l'animal gigantesque. Le serpent les avait vu venir et sans plus attendre s'élança vers eux menaçant. Dilma arriva à pleine vitesse en griffant les narines de l'animal. Le serpent hissa mécontent, restant sur place plus loin, les naseaux le démangeant comme un gros rhume. Dilma criait alertée pour que la loutre et le renard fuient. Ils étaient encore sonnés car ils avaient dévalé une pente bousculés par le serpent, s'étant retrouvés dans une ancienne carrière à charbon du dixième siècle plus bas. Le serpent fut très rapide pour les retrouver face à face d'une dizaine de mètres les séparant. Le serpent était plus fort qu’eux et hissait en colère en un son continu. Dilma se percha sur une branche en appelant plus fort nos deux amis pour les raisonner. Fleck et Cerrid ne réfléchirent plus une seconde de plus. Ils acceptèrent dans le silence le conseil de Dilma, qui était juste. Ils coururent jusqu'à l'embouchure du fleuve vers la mer. Le serpent les poursuivit. Ils se trouvèrent ensuite coincés entre la terre et la mer. Aux chutes du fleuve dangereuses à ceux qui voulaient les franchir. Dilma volait au bord du précipice. Elle était effrayée en restant près de ses deux amis. Fleck, en un instant de réflexion, se laissa tomber en arrière. Cerrid fit comme lui. Faisant tous les deux un plongeon mémorable risqué mais nécessaire. Avaient-ils un autre choix? >>
<< Fleck se réveilla ce matin avec encore une mine affreuse, les pensées embrouillées, le corps crispé par cette nouvelle nuit à laquelle il eut encore ce même rêve. Même si les autres membres de la horde étaient au courant de ce souci depuis des semaines, surtout son auxiliaire Flake, la chouette effraie qui était dorénavant à son entier service depuis que son père était mort, il n’osait pas trop en reparler quand ce même rêve recommençait. Mais ce matin-là, le renard bleu se sentait dans un état d’esprit qu’il qualifiait lui-même de minable. Il n’avait jamais ressenti autant de difficultés à se lever ou de reprendre goût à la chance d’un jour suivant sans que ces images ne se répètent dans sa tête. La chouette était à côté de lui comme tous les matins quand il se réveillait. Elle ne le quittait jamais jour et nuit même si elle ne s’éloignait qu’à quelques dizaine de mètres dans des cas extrêmes. Elle était sur le sol, le plumage ébouriffé, la tête posée sur le haut de son dos à observer les rayons du soleil pénétrant l’antre collectif situé sous les racines d’un feijoa ou goyavier du Brésil. Un arbre aux fruits étonnants ayant un goût à la croisée de la fraise, de l’ananas, et de la goyave, dont ils se nourrissaient de temps en temps. La chouette ne lui parlait pas beaucoup. Elle répondait maintenant que quand il avait des questions, des ordres à lui adresser. >>